Yvan Gastaut
Ce riche ouvrage, fruit de plusieurs années d’un travail collectif, offre une approche aussi sensible que scientifique de la présence des populations «immigrées» à La Seyne-sur-Mer depuis 1945.
L’association HPS a porté avec brio et passion un projet d’exposition présentée dans la salle de la Maison du patrimoine en 2011 que le présent livre accompagne. Outre un indéniable apport de connaissances, un tel travail est avant tout une aventure humaine : la démarche n’hésite pas en effet à défendre une dimension mémorielle tendant à rendre hommage aux trajectoires d’immigrés. La rencontre avec des acteurs de cette histoire, la recherche d’archives publiques ou privées, puis la fabrication du propos, les discussions autour de la scénographie, le colloque qui accompagne le vernissage et enfin l’ouvrage sont autant de moments de partage et d’intensité. Ce catalogue nous apprend l’arrivée, le travail, les conditions de vie de populations immigrées telles que les Italiens, Sénégalais, Algériens, Marocains. Certains y ont vécu quelques temps avant de partir sous d’autres cieux, d’autres se sont installés ici, seuls ou en famille et y demeurent encore.
Evoquer l’immigration à La Seyne, c’est avant tout revisiter l’histoire industrielle de la ville notamment marquée par la spécificité des Chantiers navals dont l’existence remonte au XIXe siècle. Employant de nombreuses générations de migrants, cette vaste entreprise apparaît comme un axe structurant la présence immigrée.
Conditions de travail difficiles, entreprises de sous-traitance, précarité, logements insalubres, luttes sociales, maladies du travail : telles sont les réalités de cette immigration qui va marquer le territoire et l’identité locale. Proche de l’agglomération toulonnaise, La Seyne est fixée dans les imaginaires comme une banlieue ouvrière proche des lieux de villégiature. Son patrimoine industriel est important et les migrants en sont un ingrédient non négligeable.
Les femmes ont fait l’objet d’études spécifiques sous la forme d’une série d’entretiens avec des témoins qui offrent une mine d’information sur la vie quotidienne. Mais les autres archives sont utilisées : presse, télévision, archives administratives,photographies, etc L’ouvrage met en relief le passage de la génération des « travailleurs immigrés » à la génération appelée « fils d’immigrés » ou pire « jeunes immigrés » qui s’opère au cours des années 80.
Le cas de la cité Berthe intégrée dans un quartier périphérique de la ville est intéressant : il met en scène la question des « grands ensembles » et les vicissitudes des « jeunes des quartiers ». Ayant fait appel à moi pour que j’apporte mon regard scientifique sur le montage de l’exposition, Yolande Le Gallo et Andrée Bensoussan m’ont fait un beau cadeau : la possibilité de travailler sur un nouveau terrain, avec de nouvelles archives que peu ont consulté. Cette excitation de l’historien autour du document est bien réelle. Elle illustre bien une évolution des travaux historiques sur l’immigration qui, après s’être beaucoup cantonnés au niveau national ou international, s’attachent davantage au niveau local ou aux territoires. Bonne chose : de nouveaux récits en découlent, une nouvelle manière de lire et de comprendre sa ville, à travers des portraits de migrants, des associations, des évènements spécifiques, des bâtiments, des espaces de travail, des immeubles, des objets.
Au final, mieux se connaître, mieux se comprendre, tel est le but de cette entreprise salutaire et rafraîchissante à laquelle j’ai eu l’honneur de prendre part.
Yvan Gastaut
Historien
Université de Nice - Sophia Antipolis
URMIS (Unité de recherches Migrations et Société)